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Nouvelles esthétiques en Afrique

Nouvelles esthétiques en Afrique

octobre 2005
Ferdinand Richard

(pour Gondwana)


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Nouvelles esthétiques en Afrique
(pour Gondwana)
Ferdinand Richard, AMI
octobre 2005
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Je ne tiendrai pas ici un discours d’esthète, ce qui serait en tout cas bien présomptueux.
Je préfère évoquer des images vécues, directement liées à la qualité de l’expression artistique africaine.
Il y a quelque temps, un expert français du monde théatral, de retour d’un voyage éclair dans une des grandes biennales qui parsèment le continent africain, déclarait péremptoirement "qu’il n’y avait pas de théâtre digne de ce nom en Afrique", et dénoncait le côté socio-scolaire des pièces sur le Sida, sur les femmes battues, sur les enfants des rues, etc...
Bien loin de son niveau de compétence, puisque piètre connaisseur de cet art, je me suis pourtant ému de cette assertion dont je sentais confusément qu’elle ne reflétait pas la réalité.
Pour ce que j’en ai vu sur le continent, j’ai bien noté que les gens de théâtre, à la différence de leurs homologues européens, ne pouvaient espérer aucune aide publique, et devaient bien compter sur leurs propres ressources pour continuer à exercer. Aujourd’hui, cette ressource ne passe pratiquement pas par la coproduction avec des structures de théâtre européennes, qui s’en détournent à la fois pour des raisons de difficulté technique, mais aussi au nom de cette terrible idée reçue "qu’il n’y a pas de théâtre digne de ce nom en Afrique".
Le cercle vicieux se referme.
Les seules niches financières disponibles sont essentiellement localisées dans les commandes des grandes ONGs humanitaires. Comme partout lorsque leur survie est mise en cause, les artistes s’adaptent...
Ceci cache (à peine) ce que peut facilement voir le béotien que je suis :
il y a en effet des acteurs prodigieux en Afrique, des "personnages de théâtre" multi-talents, inventifs, sensibles, ayant une expérience éprouvée de toute sorte de scènes.
Il y a des publics, nombreux (plus qu’en Europe), émus, enthousiastes, et largement aussi cultivés que les populations qui, chez nous, ingurgitent le mauvais théâtre cathodique.
Il y a des jeunes metteurs en scène, bouillonnants d’idées africaines, mais sans aucun moyen pour les mettre en oeuvre.
Une travée du pont fait défaut...

La danse africaine dite "contemporaine" s’affranchit de plus en plus des froides esthétiques nordiques. Elle retourne à sa fibre musculeuse, et semble jaillir des corps comme une source. D’aucuns la trouvent trop sportive. Ils ont tort. Ils critiquent l’écriture chorégraphique, la scénographie, etc... Ils ont peut-être raison, mais qui est prèt à nourrir ce jaillissement ? Où sont les ateliers, et qui les maintient ?
Ceux qui les construisent actuellement sont des africains, portant eux-mêmes les projets d’implantations, d’écoles, cherchant désespérement des soutiens, des collègues, des jumelages de lieux, d’équipes, etc...
Ce sont des pionniers, et c’est bien cet élan qui nourrira leur parole. Notre Europe bien déprimée en aura probablement besoin dans un temps très proche.

Dans le champs musical africain, le temps n’est pas si lointain où les instruments occidentaux utilisés l’étaient dans leur configuration d’usine. Je veux dire par là que peu de musiciens africains de la génération 80 ont cherché à construire leurs propres sonorités électroniques, leurs propres programmes de son, et se sont contentés des "sons d’usine", même si certains l’ont fait avec une grande virtuosité.
Ceci est en grande partie lié à la demande des grands manifestations de world-music en Europe, soit captant de la musique traditionnelle ce qu’elle avait de plus facile à offrir, soit calibrant un son électronique "typique".
Mais pour l’invention, le matériel adapté, les espaces de travail, les temps d’acquisition technique, tout a fait défaut jusqu’ici.
Est-ce à dire que les musiciens africains sont condamnés à la musique "légère", et incapables de travailler du son pour le cinéma, pour la danse, ou même pour la composition contemporaine en tant que telle ? Bien sûr que non...
Au contraire de ce qui se dit sur le continent même, certains des jeunes musiciens africains tentés par les musiques urbaines du monde entier ont acquis ces compétences technico-artistiques, sont au coeur de la science du mélange (plus que leurs ainés), se dégagent progressivement de la copie conforme, et en surprendront plus d’un dans les années proches, changeant radicalement nos conceptions de ce qu’est la musique africaine d’aujourd’hui.
Pour moi, le déclic en a été, il y a quelques années, la commande visionnaire du Kronos Quartet à quelques jeunes compositeurs africains, par ailleurs totalement inconnus. Ces profils correspondaient bien sûr à une réalité, jusqu’alors cachée à nos yeux, mais bien vivante.
Le disque est somptueusement créatif, unique...

Gondwana est né de l’envie de plusieurs opérateurs en Provence Alpes Côte d’Azur d’en finir avec ces idées reçues, de montrer ici ce que nous ressentons là-bas, de faire de notre région un endroit où le reste du monde saura qu’on y présente de l’Art vrai, dans toute sa noblesse, issu d’un continent dont nous avons aussi pillé (il ne faudrait pas l’oublier) les idées artistiques.

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Ferdinand Richard
A.M.I. Centre National de Développement pour les Musiques Actuelles

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