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Intervention Barcelone

Intervention Barcelone

novembre 2005
Ferdinand Richard


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Intervention Ferdinand Richard, Barcelona 22 nov.2005

Je n’ai pas la compétence pour vous peindre un tableau exhaustif, ni de l’état des échanges culturels en Méditerranée Occidentale, ni de l’actualité des différents programmes d’aide disponibles.
Je ne suis pas universitaire.
Je voudrais plutôt, à partir de témoignages vécus, vous faire partager quelques interrogations politiques liées à nos territoires et à nos métiers, plus exactement à la pertinence des objets que nous fabriquons dans ces paysages que nous connaissons bien.
Mais tout d’abord, une présentation des actions concrètes que ma structure a mené dans cet espace méditerranéen, de manière à bien comprendre d’où vient mon discours, puis une présentation de notre contexte à travers deux blocs statistiques édifiants.

Présentation des activités de l’A.M.I. :
Notre structure Aide aux Musiques Innovatrices, est Centre National de Développement pour les Musiques Actuelles (www.amicentre.biz) existe depuis vingt ans et développe à Marseille et dans sa région un outillage complet de modules d’accompagnement ou de formations, ainsi que plusieurs manifestations artistiques, à destination des populations jeunes.
Cette expérience durable est le fondement de nos coopérations internationales, particulièrement en Méditerranée, où, depuis le milieu des années 90, nous avons successivement conduit une opération triennale à Marrakech au Maroc (MarMar), et une opération quadriennale au Moyen Orient (Liban, Syrie, Jordanie).
La mobilité est un de ses résultats les plus spéctaculaires. Par exemple, lors du Festival Atelier Mimi-Nor que nous organisons dans la République autonome des Nenetzs en Russie du Nord, nous avons organisé un atelier vocal entre les B’net Houaryat du Sud-Maroc et les femmes shaman nenetzs, ou encore la relation que nous avons entamé avec le groupe electronique Soap Kills du Liban s’est poursuivi lors du Festival Mimi-Sud à Kinshasa (RD Congo), et a donné lieu à des ateliers et des résidences de création.
Surtout, nous accentuons aujourd’hui, à Marseille comme dans les autres parties du monde où nous travaillons, un soutien aux jeunes opérateurs, un questionnement sur l’accès au marché, sur l’économie et sur les financements solidaires, sous la forme de CADO (Cellule d’Accompagnement au Développement des Opérateurs) car il nous parait aujourd’hui évident qu’il est vain de vouloir soutenir les artistes et la création sans consolider leurs opérateurs de proximité, particulièrement dans la partie non-européenne de la Méditerranée.

Présentation de notre contexte :
Mais avant tout, et sans vouloir abuser des chiffres, je voudrais vous présenter deux blocs statistiques, que je trouve bien révélateur des enjeux de notre débat :
L’un concerne la démographie :
- en 2003, on estime à 435 millions d’habitants la population du pourtour méditérranéen, dont 118 millions de jeunes de moins de 15 ans, pour qui les principaux loisirs sont probablement d’ordre culturel.
Ces chiffres suffisent à dire le poids stratégique et "extra-corporatif" de la culture dans cet espace. Le développement culturel ne peut plus aujourd’hui être réduit à un simple supplément d’âme, à un moment de hobby en dehors des heures consacrées aux choses sérieuses, une sorte de signe extèrieur de richesse pour pays développés, ou encore le bras armé du prestige national, parfois honteusement ramené à un simple outil de propagande. La globalité et l’interactivité des domaines nous oblige aujourd’hui à admettre au grand jour ce que notre intuition nous glisse depuis longtemps : la culture est un facteur de cohésion sociale et de sécurité, un facteur de mobilité et de visibilité, un facteur d’attractivité économique, et avant tout un facilitateur de transcendance, de recul, d’analyse.
Ces chiffres expliquant la bascule des populations jeunes sont d’autre part le signe inéluctable d’un transfert, dans les deux prochaines décennies, de l’inventivité, de l’innovation. Il se fera, soyez-en sûrs, mais qu’il se fasse dans les convulsions ou dans l’harmonie dépend de notre capacité à consolider une vraie coopération culturelle, comme à assumer le passage générationnel.
La culture est un énorme enjeu stratégique.

Le duxième bloc statistique démasque le paradoxe des libresentreprises :
En 2002, selon une étude IFPI, reprise par le SNEP (syndicat national des editeurs phonographiques en France) dans le monde du disque, les parts de marché des producteurs indépendants se situent comme suit :
dans le monde :23,5%
en Europe:16,1%
en France : 3,3%, lanterne rouge de l’indépendance éditoriale musicale en Europe.

Ce pitoyable résultat d’un pays qui se veut celui d’une exception culturelle parfois arrogante montre que malgré leur objectif déclaré de démocratisation culturelle , les politiques culturelles ne sont pas toujours synonymes d’autonomie citoyenne.

J’en ferai plusieurs commentaires :
- L’intégration européenne, par ses programmes d’ajustement, revendique la décentralisation, l’harmonisation inter-régionale, un dialogue entre centres et périphéries, une ngarantie d’équilibre entre régions, et ajuste la création d’emploi sur une certaine idée de la liberté d’entreprendre. L’industrie des loisirs (dans laquelle j’inclue bien sûr l’industrie du tourisme), au contraire, sur-centralise pouvoirs de décision, calibration de l’offre, monopoles de diffusion, terminaux de consommations, et profitera bien sûr d’une opposition de ces centres et de ces périphéries, les uns considérés comme pôles d’attirance et centres de pouvoirs, propres à aggraver les migrations de jeunes populations, les autres considérées comme réservoirs de matière brute, fût-elle intellectuelle ou artistique.
Comme toute industrie moderne, celle des Loisirs accélère les turn-overs d’emploi, les précarités, et cette accélération est nuisible à la structuration économique de long terme, notamment celles des territoires méditerranéens.
De fait, on pourrait d’ailleurs dire qu’elle ne se préoccupe pas d’économie, mais de profits, ce qui n’est pas exactement la même chose.

- Partant de ce déséquilibre, il sera bien difficile pour l’Europe de prétendre donner des leçons de développement culturel multi-latéral et durable à ses partenaires du bassin méditerranéen.
Force est de constater aujourd’hui que, pour les riches pays nord-méditerranéens, le commerce de la culture se résume essentiellement à un dialogue entre donneurs d’ordre globaux et consommateurs européens. Malgré la première statistique démographique que j’ai citée, il n’y a pas ou très peu de construction économique multi-latérale dans le domaine de la musique en Méditerranée. Habitant Marseille, je suis bien forcé de constater que la quasi-totalité du business musique installés dans cette ville ou sa région est essentiellement focalisé sur ce qui se passe au niveau des majors companies. Il tourne le dos à la Méditerranée, et ignore l’extraordinaire potentiel commercial qu’elle représente. Dans le meilleur des cas, certains artistes du monde arabe voient l’exploitation de leur catalogue par des compagnies européennes, mais nous restons bien dans le cas de figure où l’on considère les périphéries comme un reservoir de matière brute intellectuelle.

La toile de fond étant ainsi campée, je vous propose maintenant d’interroger brièvement cinq concepts actuels.

1) La réponse des accords de Barcelone
Il faudrait pourtant que les accords de Barcelone, par quelque moyen adapté, soutiennent la structuration et la mise en réseau de milliers de nouveaux producteurs autour de la Méditerranée, initiatives de jeunes entrepreneurs ou de jeunes associations, crédits mutuels, micro-financements, formations, accès à l’économique, etc...
Mais de ce point de vue, les récentes "guidelines" énoncées par la Fondation Anna Lindh (comme ses mécaniques de programmation sous la coupe exclusive de la Commission ou des gouvernements) sont peu rassurantes, alors que la Fondation annonce haut et fort que la jeunesse est sa priorité, que l’équité est son dogme, que la société civile guide ses orientations. Comment combattre pour donner un réel poids programmatique aux réseaux nationaux qui sont censés constituer la Fondation (eux-mêmes constitués de larges pans de la société civile), est bien une question qui fait écho à la manière dont sont conduites les affaires européennes, notamment en ce qui concerne le partage des pouvoirs en leur sein.
Chaque état, chaque noeud de pouvoir, tente de faire jouer ses intérets immédiats, et la négociation accouche d’une souris paralysée, un triste plus petit dénominateur commun, dont les opérateurs, artistes, et publics ne sont en fait que les alibis . Si nous avons un combat
politique à mener, c’est bien ici qu’il doit se situer.

A ce point de mon exposé, et puisque la Fondation Anna Lindh, comme bien d’autres cercles issus des accords de Barcelone, employe généreusement les deux termes de mobilité et de professionalisation, j’aimerais m’arréter un instant sur ces notions, desquelles il convient de re-intérroger le sens :

- la notion de professionnalité, tout d’abord, qui revient régulièrement dans le discours de la coopération artistique internationale. Du côté sud de la Méditerranée, nous savons que la frontière entre professionnels et amateurs est encore plus imprécise qu’en Europe (où elle est déjà matière à débat), ou encore que nommer "professionnel" un artiste dans certains pays revient à dire qu’il est affilié au pouvoir en place, sans que cette affiliation garantisse la qualité artistique de son travail.
La remarque peut parfois s’appliquer chez nous aussi...
Inversement, un nombre non négligeable de jeunes artistes sont encore considérés "amateurs" parcequ’ils n’ont pas cette affiliation au pouvoir, alors que s’ils étaient européens, ils seraient déjà dans une situation au moins "pré-professionnelle".
Enfin, d’un point de vue personnel, je rattache le niveau professionnel d’un artiste à la qualité intrinsèque de son travail et de son inspiration, plus qu’au fait de savoir si son travail lui procure ou pas une indépendance économique.

- la notion de mobilité, souvent centrale dans nos débats, mène directement à la notion d’autonomie. Cette mobilité n’a de sens que si elle est productive. Nous savons tous qu’il n’y a pas lieu ici de mettre en place une agence de voyage, et qu’organiser la mobilité d’une
certaine élite artistique n’est pas la voie la plus directe vers une éthique de la coopération. Depuis longtemps déjà, il m’apparait qu’il faille subordonner cette question de mobilité à la notion de structuration productive.
La mobilité, oui, mais pour faire quoi ?

Simultanément à cette question, le questionnement des politiques culturelles tourne de plus en plus, en Europe, autour de la notion des accompagnements d’artistes, des micro-entreprises, des structures qui les servent. En Méditerranée aussi, car il suffit d’interroger des jeunes
artistes au Moyen Orient pour savoir qu’un de leurs principaux écueils est celui de l’encadrement, de l’accompagnement de leurs travaux par des structures ad hoc.
Pas de perspectives d’avenir sans opérateurs.
Mais former un manager, un agent, un éditeur, suppose, encore plus que pour un artiste, qu’il confronte ses pratiques professionnelles, qu’il voyage.
Mais encourager la mobilité des opérateurs suppose que l’on se donne la capacité de juger de la qualité, du succès, de la capacité à structurer, de la durabilité des projets de ces personnes.

2) Accords de Barcelone /bis :
Nous avons souvent entendu parler, dans les temps récents, d’une doctrine dite "5 + 5 ", qui serait l’expression d’un certain pragmatisme :
pour mieux activer le partenariat méditerranéen, il conviendrait de commencer à construire une première plate-forme impliquant 5 pays du Maghreb (Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie, Lybie) et cinq pays nord-méditerranéens de l’Ouest, Portugal, Espagne, France, Italie et Malte, dont l’objet serait un effet d’entrainement sur l’ensemble des signataires de Barcelone.
Les économistes et les diplomates ont certainement de bonnes raisons de défendre une telle doctrine, notamment en terme de dynamique diplomatique, ou en terme d’intégration économique générale.
Mais d’un point de vue culturel, il parait difficile d’exclure la dynamique transversale à toute la Méditerranée.
Comment tronçonner l’immense héritage commun à toutes les musiques arabes par des cloisons étanches ?
Comment, dans notre domaine musical, atteindre le seuil de rentabilité économique sur ces seuls dix pays ?
Puisque la Culture et le Tourisme, dans l’ensemble du bassin, sont étroitement liés, comment pourra-t-on les séparer entre Ouest et Est ?
Finalement, ne voit-on pas poindre, derrière cette doctrine, une sorte de partage d’influence entre la zone latine d’une part, et d’autre part un Grand Moyen-Orient d’obédience anglo-saxonne, ne voit-on pas revenir une nouvelle version d’un vieux partage néo-colonial ?
Aujourd’hui, ce que ma structure souhaite activer et consolider, c’est un réseau mettant en relation les jeunes opérateurs musicaux du Maghreb et du Machrek, une sorte de pont permanent entre Est et Ouest, s’appuyant sur deux pivots, Damas et Alger. Si nous
réfléchissons à la mise en oeuvre d’un tel programme, c’est non seulement parcequ’il correspond aux demandes que nous entendons lors des nombreux entretiens que nous menons avec les jeunes musiciens et leurs opérateurs sur place, mais aussi parcequ’il nous
semble que l’autonomie des esthétiques et des productions au sud passe obligatoirement par un rapport de force avec le nord, rapport de force qui ne pourra se gérer qu’à travers la constitution de réseaux larges et autonomes au sud. On pourrait résumer cette évolution par le changement symbolique du clan au réseau. Renaissance d’autant plus difficile qu’elle est une question posée à tous, pas seulement au sud, si l’on considère que les grands monopoles de l’Industrie des loisirs se débattent dans leurs contradictions entre logique de clan et esprit de réseaux.

 

3) Tourisme culturel et droit culturel :
- La dialectique du commerce culturel, qui voudrait que nos équipements, salles de concerts, festivals, tourisme culturel, ne soient que de juteux terminaux de consommation, ne peut évidemment pas servir de base à une coopération culturelle méditerranéenne dont l’unique objet, éventuellement caché, serait d’élargir notre réseau de distribution.
Comme par hasard, les modèles d’aménagement culturel du territoire que nous avons exportés se concentrent autour des lieux de consommation. Et comme en France, ils reflètent un certain mépris des pratiques culturelles de nos concitoyens, particulièrement celles des jeunes. En focalisant sur la Culture pour tous, on a oublié les Cultures de tous, manière moderne de tuer la poule aux oeufs d’or, de se priver d’un fantastique potentiel d’idées innovantes.

De surcroît, nous touchons là au droit culturel de nos concitoyens, et toutes les généreuses déclarations sur le partage, la fraternité, la communauté de racines,la diversité culturelle, etc... s’effondrent au moment même où ce droit culturel, c’est-à-dire celui à s’exprimer et non pas à consommer, est bafoué. Patrice Meyer-Bisch, de l’Institut International des Droits de l’Homme/Univeristé de Fribourg/Suisse, explique fort bien cette liaison directe entre l’absence de droits culturels et de droits économiques , dangeureux déficit masqué par le discours sur les droits de l’Homme, par l’usage intensif du mot Démocratie.

Cette tension est bien entendu perceptible dans le bassin méditerranéen. Parler d’un dialogue des cultures sans établir au préalable les bases d’un échange équitable et de niveau homologue
revient à réactiver des attitudes néo-coloniales, toujours à l’affût lorsqu’on parle de profit.

Nul n’est besoin ici d’ajouter que cette disparité est probablement le principal générateur d’insécurité et de déstabilistation dans cette région du monde comme dans d’autres, et que des éléments intégrés de politique culturelle seront indispensables à la prévention des conflits, et donc à la prospérité.

4) diversité culturelle et intégration politique :
S’il y a un noeud que nous aurons beaucoup de mal à défaire, c’est celui qui concerne la confusion entre intégration de politiques culturelles nationales au sein d’un ensemble multi-latéral d’un côté, et défense de la diversité culturelle de l’autre.
L’intégration de nos différentes politiques culturelles nationales estindispensable, ne serait-ce que pour sortir les artistes de la traditionnelle instrumentalisation qu’en font les états aux fins
prestige national, sans parler de l’élévation générale des consciences, processus dont ils sont les ouvriers. Je parle là de l’artiste en tant que renfort direct (et, dans certains cas, acteur majeur) de la démocratie, de l’autonomie, de la sécurité.
La diversité culturelle, si nécessaire soit-elle pour garantir nos équilibres de paix, ne saurait être utilisée au service de la défense des souverainetés nationales. Chaque pays de la Méditerranée, au nord comme au sud, connait des minorités parfois bien opprimées, et
lorsque nous parlons de cette diversité culturelle, nous parlons bien d’un échelon humain, territorial, qui concerne autant les expressions à venir que le patrimoine, et non pas des insignes et bannières d’armées nationales en marche.
C’est bien en intégrant nos politiques culturelles nationales au sein d’un ensemble raisonné que nous pourrons garantir la diversité dans ses aspects les plus périphériques.
Ce dilemne est l’écho de celui qui ébranle aujourd’hui l’Europe,opposant fédéralisme et souverainisme, expliquant au passage l’attitude monolithique du secteur culturel français votant contre le Traité Constitutionnel Européen, qui portait pourtant de remarquables
avancées en ce qui concerne l’intégration progressive des différentes politiques culturelles européennes. Ici encore, cette question n’étant toujours pas résolue, il apparait à tout le moins arrogant de croire que nos pays du nord de la Méditerranée pourront unilatéralement édicter
la marche à suivre au sud de la Méditerranée.
Des plate-formes de mise en accord sont absolument indispensables.
On peut même aller jusqu’à dire que l’espace méditerranéen est en la matière plus avancé que le continent européen lui-même. Par exemple, la Politique Européenne de Voisinage qui consiste en accords bilatéraux EU et pays voisins, montre qu’à ce jour tous ceux qui sont
signés en Méditerranée présentent un volet culturel (exemple Israel, Tunisie, Maroc, Palestine, Jordanie) intégré par son institut financier ENPI.
En comparaison, si l’on considère les contenus des cadres stratégiques nationaux des pays-membres de l’Union Européenne qui, actuellement, remontent vers la Commission et constitueront l’armature des futurs programmes de financements de l’Union, force est de constater que la culture est bien peu présente. Et le budget de Culture 2000 ou 2007 correspond plus ou moins au budget culturel d’une grande ville européenne, un ridicule amuse-gueule pour les vingt-cinq pays membres plus les pays éligibles. Le total représente à
peine 0,03% du budget de l’Union, lui-même inférieur au seul budgetdes Pays-Bas. Et malgré toute mon adhésion à la généreuse et indispensable campagne du Forum Européen pour les Arts et le Patrimoine, réclamant 70 centimes d’euros par an et par habitant pour
la Culture, force est de constater que le recul annoncé de la contribution des états-membres au budget de l’Union affectera en priorité l’embryon de politique culturelle de l’UE. Il est illusoire
d’attendre quelque amélioration que ce soit si la contribution des états-membres ne dépasse pas 1% de leurs budgets.
Pourtant, on constate toujours la perduration coriace d’anachroniques évènements culturels budgétivores, à relents nationalistes. Comment peut-on encore présenter le concours Eurovision comme une vision d’excellence culturelle européenne, comme un exemple de respect de la diversité culturelle, comme le modèle à exporter chez nos voisins ?

5) Quelles manifestations culturelles en Méditerranée ? :
Dans ce contexte, que serait-il raisonnable d’envisager pour créer un réseau de manifestations culturelles en Méditerranée ?
Chaque année, entre juillet et août, les institutions présentes dans ma région subventionnent plus de cent cinquante festivals de musique, et certains festivals sont désormais entièrement programmés, gérés, communiqués et vendus clefs en main aux décideurs locaux par des
officines extèrieures à la région. Force est de constater que cette festivalisation de la culture ne procure pas les emplois qualifiants et de long terme qui pourraient témoigner d’un véritable développement territorial. Elle ne développe pas plus , bien entendu, l’autonomie de pensée et d’action de nos populations, ne préserve en rien le dialogue inter-culturel, et accentue la fracture sociale, ces festivités étant bien entendu inaccessibles à une partie importante de la population locale.
Si nous parlons bien de culture, et non pas de communication, il nous apparait aujourd’hui que l’aide publique (et notamment territoriale) à un festival ne peut se justifier que si cette manifestation participe d’une dynamique permanente, génère de la formation, de la création
d’entreprises culturelles, mobilise les publics locaux, et s’insère dans un réseau méditerranéen productif. Un festival structurant est aussi différent d’un festival médiatique que la plantation de jeunes arbres peut l’être d’une déforestation sauvage, et il est temps de réfléchir aux
termes de ce que l’on pourrait appeler une "écologie culturelle".
Cette différenciation majeure (au niveau des objectifs, notamment) suppose aussi des techniques de financement et d’évaluation adaptées, ce qui fait dramatiquement défaut aujourd’hui.
Je suis donc pret à contribuer à l’échange culturel en Méditerranée, mais à condition que sa mission ne se limite pas à un échange de programmations.

Conclusion :
Les résultats de nos travaux portent plus loin qu’un simple aménagement de nos territoires, ou de nos industries touristiques. Ils ne sauraient non plus se résumer à être la partie émergée d’un lobby collectif.
Ils ne peuvent non plus se limiter à des joutes universitaires.
Ils doivent être, à leur modeste échelle, une contribution moderne du monde culturel aux nouveaux équilibres de société auxquels nous aspirons tous.

Plus tard, les jeunes clients actuels de nos terminaux de consommation, devenus citoyens actifs et responsables, sauront préserver ces fragiles équilibres, en particulier parce que la qualité de leur acculturation leur assurera, au moment des choix difficiles, un jugement sain, une efficacité généreuse.
Ce qui nous réunit ici aujourd’hui, opérateurs, artistes, décideurs, autour de ces pérégrinations circulatoires, c’est que nous devrons, un jour ou l’autre, en rendre compte.
Je vous remercie de votre attention.

Ferdinand Richard

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